LA CONTREFAÇON DES PRODUITS DE LUXE

Nous portons à votre attention la traduction d’un article publié le 23 avril 2020 dans la World Trademark Review. Les auteurs, Luc Seufer, directeur juridique groupe et Karolina Ciecieląg, avocate, chez EBRAND, dressent le tableau de la contrefaçon des produits de luxe et des nouveaux risques qu’elle fait courir aux marques du fait de la mondialisation.

 

Si Oscar Wilde a pu dire un jour que « l’imitation est la forme de flatterie la plus sincère que la médiocrité puisse payer à la grandeur », du point de vue de la propriété intellectuelle, l’imitation est surtout une affaire de volume. La contrefaçon n’est pas un phénomène nouveau – les droits de propriété intellectuelle ont été créés pour protéger nos créations. Certes, par le passé, la copie non autorisée a pu être considérée comme une sorte d’hommage à des produits artisanaux fabriqués en petit nombre. Depuis, les progrès technologiques et la production de masse ont rendu cette copie préjudiciable aux créateurs. Il n’est pas surprenant que la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle et la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques aient toutes deux été signées dans les années 1880, au début de la deuxième révolution industrielle.

Effet pervers de la mondialisation et du taux de pénétration toujours croissant d’Internet, le volume de production actuel et la facilité d’approvisionnement en produits de contrefaçon sont sans précédent. Bien que des usines de fabrication quittent progressivement la Chine pour des lieux de production encore moins chers tels que le Bangladesh et l’Indonésie, on estime qu’entre 85 et 95 % de toutes les marchandises contrefaisantes proviennent encore de Chine. Il existe donc un risque élevé que ces nouvelles implantations viennent contribuer à la croissance du marché de la contrefaçon.

Selon le Rapport mondial sur la contrefaçon des marques 2018, le volume du commerce international de produits contrefaits a atteint 1,2 trillion de dollars en 2017 et devrait passer à 1,82 trillion de dollars en 2020 et ces chiffres stupéfiants devraient continuer à augmenter.

 

TOUT EST QUESTION D’APPARENCE

 

Autrefois, la richesse d’un individu pouvait être estimée au nombre de chevaux qu’il possédait. Aujourd’hui, porter un sac à main marqué d’un logo célèbre, ou une paire de lunettes de soleil de forme spéciale, suffit pour paraître riche ou à la mode. Les personnes qui achètent de tels biens ne sont pas crédules et comprennent qu’elles acquièrent des répliques bon marché de produits de luxe qu’elles ne pourraient pas s’offrir autrement. S’il existe bel et bien des produits contrefaits d’un niveau de qualité proche des produits originaux (produits dit « yuandan ») leurs coûts de production et le risque de les voir saisis par les douanes suffisent à dissuader les contrefacteurs. Il est légalement – mais surtout économiquement – plus opportun pour ces fabricants de vendre leurs produits sous leur propre marque d’usine ou même sous un label neutre plutôt que sous forme de contrefaçons. Effectivement, si la saisie et la destruction d’un conteneur rempli de fausses lunettes Ray-Ban (bon marché, NDT) ne porteront pas grand préjudice à leur fabricant, il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit d’une réplique haut de gamme dont la production nécessite des matériaux de qualité et des machines sophistiquées.

Les produits de luxe saisis par les forces de l’ordre sont principalement des montres, des articles en cuir et des lunettes de soleil de marque (voir l’étude de 2019 « Tendances du commerce de produits contrefaits et piratés » de l’Organisation de coopération et de développement économiques et de l’OMPI). Le Global Brand Counterfeiting Report 2018 cite Chanel, Louis Vuitton, Prada, Fendi, Gucci et Dior au nombre des marques de luxe les plus contrefaites. Leurs contrefactions, pour la majorité très bon marché à produire et portant atteinte à des marques mondialement connues, permettent leur vente sur n’importe quel marché de la planète pour un profit rapide avec des conséquences limitées en cas de saisie.

Bien que le Rapport mondial sur la protection des marques indique que les pertes dues à la vente en ligne de contrefaçons se sont élevées à 32 milliards de dollars en 2017, il est difficile d’en estimer le coût réel. Les pertes causées par la contrefaçon de produits de luxe sont différentes de celles qui affectent d’autres produits, où chaque vente à un client par un contrefacteur correspond à une vente perdue pour la marque. Il est très probable en effet que les acquéreurs de ces produits (contrefaits, NDT) n’auraient jamais pu acheter un produit authentique. Cela ne signifie pas que la contrefaçon ne nuit pas aux marques de luxe, bien au contraire ; ses effets néfastes sont plus insidieux.

Dans l’industrie du luxe, l’originalité et la rareté sont les principaux facteurs de succès. Si un produit de luxe se banalise, il cessera de se vendre, et toutes les ressources de recherche et développement, de conception, de marketing et de publicité investies dans une création spécifique ou originale seront perdues. Plus que tout autre marché, celui du luxe repose sur la réputation et le prestige exceptionnel que la possession d’un produit de luxe confère aux clients. Si les ventes réalisées par les contrefacteurs ne sont pas des pertes directes pour la marque contrefaite, elles peuvent conduire les clients potentiels à éviter des produits authentiques qui ont perdu leur éclat et leur prestige. Rendue possible par l’Internet, la vente en masse de produits contrefaits est un danger évident pour les marques de luxe. L’industrie du luxe est principalement composée de produits et accessoires vestimentaires (lunettes de soleil, vêtements, articles de maroquinerie et parfums) dont la fabrication est très réglementée, même lorsqu’il ne s’agit pas de produits haut de gamme. Les contrefaçons ne respectent aucune norme de sécurité et sont donc susceptibles de mettre en danger leurs acheteurs. Ainsi, les risques liés à l’utilisation de lunettes de soleil contrefaites sont élevés, car elles peuvent ne pas offrir la protection adéquate. Il en va de même pour les parfums ou les vêtements qui sont en contact direct avec la peau et qui peuvent contenir des substances dangereuses.

L’absence de traçabilité ajoutée à l’influence grandissante d’Internet constituent un risque supplémentaire pour les marques de luxe : elles pourraient apparaître responsables aux yeux d’un public susceptible de croire que ce sont elles qui vendent des produits défectueux.

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VENTES EN LIGNE

 

Oublié le temps où le principal canal de distribution des produits de luxe contrefaits consistait en une simple couverture posée sur le sol du marché d’un village touristique. Aujourd’hui, les fabricants de produits de contrefaçon sont en contact direct et constant avec chaque client potentiel, pas seulement avec quelques touristes. Toute personne disposant d’un accès à Internet peut facilement trouver et acquérir une paire de lunettes de soleil ou un parfum contrefaits à tout moment de l’année, à toute heure du jour, sans quitter son domicile.

De nombreux contrefacteurs n’expédient plus de marchandises en nombre ; ils envoient de petits colis directement au client final. Ce phénomène est si important que certains marchés en ligne ont démarré et développé leurs activités en permettant aux contrefacteurs de vendre leurs marchandises au public. Heureusement, la plupart des places de marché surveillent aujourd’hui le comportement de leurs vendeurs. Des contrôles réguliers sont cependant nécessaires afin de vérifier qu’elles ne retombent pas dans de mauvaises habitudes.

L’absence de réglementation internationale claire et cohérente a une conséquence majeure : les commerçants illicites ont appris à jouer avec le système en choisissant avec soin l’emplacement de leurs usines, de leurs entrepôts de stockage, de leurs prestataires de services d’expédition, de leurs banques et de leurs marchés en ligne. Les principaux canaux utilisés pour les échanges commerciaux sur Internet sont les places de marché, les site de e-commerce et, maintenant, les réseaux sociaux. La plupart des places de marché en ligne disposent d’un système de signalement des abus qui permet aux titulaires de marques, au minimum, de faire retirer les produits contrefaits. Les plus grands (AliExpress, Amazon et eBay, par exemple) ont même adopté une attitude proactive en mettant en place des systèmes de surveillance censés empêcher la mise en vente de contrefaçons. Toutefois, ces systèmes ne sont pas infaillibles et la charge de la protection d’une marque ne peut être entièrement transférée à des tiers. Les titulaires de marques doivent mettre en place leurs propres mesures de surveillance.

Bien que les réseaux sociaux ne soient pas, à proprement parler, des lieux de commerce, ces plateformes constituent un puissant instrument de commercialisation des produits et peuvent stimuler les ventes de boutiques en ligne peu ou pas réglementées. Les plus importants aujourd’hui sont YouTube, Facebook, WhatsApp, WeChat, QQ, Qzone, Instagram et TikTok. Ils comptent des milliards d’utilisateurs actifs et autant de clients potentiels. Des études montrent que près d’un cinquième du contenu relatif aux marques de luxe qui est publié sur les médias sociaux est illicite.

Cette publicité gratuite représente un avantage supplémentaire pour les contrefacteurs. Premièrement, ils ne dépendent ainsi ni d’une place de marché ni de ses règles en termes de propriété intellectuelle. Deuxièmement, les adresses de leurs boutiques en ligne, mal classées ou totalement inaccessibles via les moteurs de recherche, sont plus difficiles à trouver pour les titulaires de marques. Enfin, au lieu de référencer une seule boutique en ligne, les contrefacteurs peuvent communiquer grâce à différentes adresses web et limiter le risque de voir toutes leurs ventes interrompues lorsqu’un site est suspendu.

Les méthodes d’expédition choisies par les contrefacteurs évoluent. D’après les statistiques, les petits colis représentent 63 % de toutes les saisies douanières, soit un volume plus important que les envois en grande quantité. Plus difficile à détecter par les agents des douanes, cette stratégie est également dissuasive pour les propriétaires de marques qui, malheureusement, ne tiennent pas compte de la saisie de petits volumes, laissant ainsi les contrefacteurs tranquilles.

Les contrefacteurs sont également très bien informés des modes de paiement qu’ils peuvent utiliser et, surtout, de la manière de les utiliser. Si les cryptomonnaies ont récemment fait la une des journaux, l’expérience montre que les contrefacteurs utilisent généralement des moyens de paiement plus courants tels que PayPal ou cartes de crédit et, plus récemment, les systèmes de paiement intégrés par les plateformes de médias sociaux à leurs services (par exemple, WeChat Pay ou Instagram Checkout).

 

STRATEGIES DE LUTTE CONTRE LA CONTREFAÇON DE PRODUITS DE LUXE

 

La protection de la propriété intellectuelle devient un enjeu crucial pour les titulaires de droits.

Il est recommandé à toutes les entités confrontées aux problèmes liés à la contrefaçon et au piratage d’agir afin de diminuer l’apparition sur le marché de produits dont la présence contribue à réduire le prestige des marques de luxe. Ainsi, il convient de :

  • Préparer et mettre en place un programme de lutte efficace et bien conçu, incluant des stratégies dédiées à l’enregistrement et à l’application des droits de propriété intellectuelle ainsi qu’à la lutte contre les produits contrefaits et piratés.
  • Enregistrer et maintenir correctement les droits de propriété intellectuelle pertinents dans tous les pays critiques, en particulier dans ceux où la fabrication de produits contrefaits et piratés est importante (des pays comme la Chine ou l’Inde disposent d’offices locaux de propriété intellectuelle – généralement des agences gouvernementales officielles – chargés de l’enregistrement des droits).
  • Éduquer et sensibiliser les clients au problème des produits contrefaits et piratés et aux conséquences économiques et sociales qui en découlent ; créer des outils permettant aux consommateurs de signaler les produits suspects ; et offrir des avantages aux clients qui achètent des produits dans la chaîne de distribution officielle.
  • Investir dans des technologies et des systèmes anticontrefaçon qui permettent de suivre la chaîne de distribution et les produits originaux et de signaler la « zones d’entrée » du produit sur le marché (les cas d’importation parallèle, par exemple). Investir dans des dispositifs de sécurité adéquats tels que des étiquettes, des marquages et des numéros de série qui rendront impossible la fabrication de produits identiques.
  • Surveiller attentivement les ventes en ligne et l’activité des boutiques en ligne – cela ne doit pas être effectué par l’entreprise elle-même, il existe sur le marché de nombreux outils fiables de suivi des infractions en ligne. Plusieurs entreprises proposent des plateformes qui effectuent ce suivi et aident à retirer les contenus illicites des places de marché, des sites web ou des médias sociaux. Investir dans des technologies de lutte contre la contrefaçon avec des moteurs de recherche appropriés utilisés par des entreprises spécialisées garantit une assistance complète dans la lutte contre les produits contrefaits et piratés.
  • Inspecter le marché physique, prendre des mesures efficaces pour repérer les chaînes de production et de distribution et informer les autorités compétentes.
  • Coopérer étroitement avec les services de répression spécialisés dans les crimes contre la propriété intellectuelle, les services de police locaux et internationaux, les douanes et les bureaux de protection des frontières, ainsi que les organisations internationales, car ils seront de grands alliés dans la lutte contre les produits contrefaits. Dans certaines juridictions, ces agences et autorités jouissent d’une liberté juridique spécifique pour agir en cas de violation des droits de propriété intellectuelle (par exemple, le règlement européen 608/2013 concernant le contrôle douanier des droits de propriété intellectuelle).
  • Enquêter sur chaque cas, sans ignorer les petites saisies, car c’est ainsi que les produits contrefaits sont le plus souvent livrés dans les pays où ils sont destinés à être vendus.
  • Engager une procédure judiciaire – dans de nombreux cas, obtenir un jugement positif dans une affaire de contrefaçon s’avèrera utile lorsque vous agirez contre d’autres entités ayant introduit des produits contrefaits sur le marché. Si elle est utilisée correctement, cette mesure peut être très efficace pour dissuader les contrefacteurs.

La lutte contre les contrefacteurs peut sembler vaine, mais ce n’est pas le cas ! Il est indispensable de planifier et de mettre en œuvre une stratégie de lutte. Les fraudeurs utilisent une technologie en constante évolution et il n’y a aucune raison pour que les titulaires de marques n’en fassent pas autant.

 

Par Luc Seufer, directeur juridique groupe et Karolina Ciecieląg, avocate, chez EBRAND

 

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