La suspension récente d’un nom de domaine(1) utilisé par un groupe dit suprémaciste blanc a soulevé dans le grand public une question essentielle : quels risques y a-t-il à laisser les intermédiaires techniques décider des contenus auxquels les utilisateurs d’Internet peuvent ou non accéder ? La réponse de Luc Seufer, directeur juridique du groupe EBRAND.
Qu’est-ce qui caractérise comme « illicite » l’utilisation d’un service ?
La neutralité du Net(2) et, encore plus important, les lois qui tentent de la juguler, sont un sujet récurrent de discussion entre les juristes et les professionnels avertis de l’industrie des télécommunications.
Cependant, la fermeture et/ou la suspension de sites connus pour leurs positions extrémistes et racistes suscitent régulièrement de nombreuses questions sur la planète Internet quant au respect de la liberté d’expression. Le site Daily Stormer bloqué au mois d’août dernier peu après les événements de Charlottesville aux États-Unis en est un exemple. Il nous semble donc pertinent de rappeler à nos lecteurs les réglementations applicables à cet égard chez EBRAND France, où s’appliquent les lois européennes mais aussi la législation française.
En vertu de ces lois, un registraire (ou bureau d’enregistrement) est considéré comme intermédiaire technique et, par conséquent, n’a pas l’obligation de contrôler activement l’utilisation de ses services. Il doit cependant intervenir dans les cas relatifs à l’utilisation illicite desdits services.
Le mot-clé à considérer ici étant « illicite ».
Comprendre ce que disent les lois
La France, tout comme l’ensemble des membres de l’Union européenne, est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme. Ses citoyens jouissent des libertés de parole, de presse, de réunion, d’association, de procession et de manifestation.
L’article 10 de la Convention(3) énonce ce qui suit :
Liberté d’expression
1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.
Cependant, cela ne signifie pas que la liberté d’expression est illimitée. En effet, le second paragraphe du présent article prévoit que des limites doivent parfois être mises en place.
2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
En France, l’article 6 de la Loi du 21 juin 2004(3) pour la confiance dans l’économie numérique et l’article R625-7 du Code Pénal(3), notamment, érigent l’incitation à la haine raciale ou ethnique en infraction pénale, celle-ci étant punie d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. En conséquence, nous suspendrions immédiatement les services utilisés de cette façon dès que nous en serions avisés, faute de quoi nous serions nous-mêmes en infraction. À moins que, l’illégalité signalée ne paraissant pas clairement établie, nous ne requérions une ordonnance judiciaire exécutoire, du type référé.
Une telle suspension ne sera jamais basée sur notre avis personnel quant au contenu signalé mais uniquement sur sa légalité. Nous recevons parfois des plaintes relatives à des contenus que nous désapprouvons fortement mais si ceux-ci ne contreviennent pas aux lois en vigueur, nous n’entreprenons aucune action.
EBRAND s’est engagé à adopter une approche juste et équilibrée
La pluralité des opinions et la liberté de les exprimer sont la pierre angulaire de toute société démocratique. Comme telle, nous estimons qu’il n’est pas du ressort des fournisseurs techniques de contrôler les contenus en ligne accessibles au public.
Cela étant, même si nous souhaitions emprunter cette voie, nous ne pourrions pas le faire. Cela signifierait en effet que nous refusons de travailler avec un client sans motif juridique valable, ce qui nous mettrait alors en infraction.
Par Luc – 16.08.2017 – Traduit et adapté pour EBRANDFrance le 14.11.2017 par Sophie Audousset
(1) http://www.lepoint.fr/monde/etats-unis-debat-epineux-sur-la-liberte-d-expression-apres-la-fermeture-de-sites-d-extreme-droite-21-08-2017-2151211_24.php
(2) La neutralité du Net ou la neutralité du réseau est un principe devant garantir l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Ce principe exclut par exemple toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau. La neutralité du Net est un principe qui remonte aux premiers développements d’Internet. (Source : Wikipédia)
(3) Liens vers les textes de référence cités :
– Article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme
– Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : article 6
– Code pénal : article R625-7