AMAZON, EBAY, PIXMANIA, RAKUTEN… POURQUOI LES PLACES DE MARCHÉ VEULENT-ELLES SE FAIRE PASSER POUR DES HÉBERGEURS DE CONTENUS ?

Que ce soit pour supprimer les contrefaçons vendues en ligne ou pour protéger leur réseau de distribution sélectif, les marques doivent engager en permanence un véritable bras de fer avec des plateformes de vente en ligne surfant entre mauvaise foi et posture de défense. Pour mieux comprendre les enjeux d’un tel combat, nous avons interviewé Céline Le Lay, Responsable juridique Propriété Intellectuelle chez EBRAND.

Généralistes ou spécialisées, accessibles de n’importe où, 7J/7 et 24H/24, les plateformes de vente en ligne, quasi incontournables, représentent à elles seules en 2021 un chiffre d’affaires de 718 milliards d’euros (+ 13 % vs 2020) en Europe et de 5 000 milliards de dollars (+ 16 % vs 2020) au niveau mondial selon le récent rapport Fevad. Pourquoi un tel succès ? Elles proposent aux consommateurs leurs propres offres commerciales ainsi que celles de vendeurs tiers qu’elles autorisent à vendre leurs produits en ligne, moyennant une commission. Bons plans, ventes flash, annonces placées en tête des résultats… Tout est mis en œuvre pour promouvoir activement les ventes. Mais lorsqu’un vendeur détourne le système pour vendre des produits contrefaits, la machine s’enraye. Pour les marques qui tentent de faire valoir leurs droits commence alors un vrai parcours du combattant face à des plateformes qui dénient toute responsabilité en se prétendant simples hébergeurs. Pourquoi tiennent-elles tant à revendiquer ce statut ? Comment les marques peuvent-elles argumenter pour défendre leurs droits et protéger leur réseau de distribution ? Pour répondre à ces questions, nous avons interrogé à Céline Le Lay, Responsable juridique Propriété Intellectuelle chez EBRAND.

Les plateformes revendiquent le statut d’hébergeurs de contenus. Pour quelle raison ?

Il convient d’abord de savoir que deux types de statuts sont susceptibles de s’appliquer aux intermédiaires en ligne et notamment aux plateformes de vente :
– celui d’hébergeur, qui assure seulement le stockage de contenus fournis par des tiers et le met à la disposition du public (selon la définition donnée par la Loi pour la Confiance en l’Économie Numérique (LCEN) du 21 juin 2004 ;
– celui d’éditeur qui, à la fois, édite et met en ligne du contenu à destination du public.

Cependant, à ces deux statuts correspondent des responsabilités différentes :
– Les hébergeurs bénéficient d’un régime dit « de responsabilité diminuée » car ils n’assurent que le stockage des contenus et non leur édition. Ils ont un rôle passif, de « technicien » et ont une position neutre au regard du contenu stocké.
– Les éditeurs, en revanche, sont pleinement responsables de ce qu’ils proposent en ligne. En effet, leur rôle est actif et leur confère une connaissance et un contrôle des données qu’ils stockent.

Compte tenu de ces différences, les places de marché ont donc tout intérêt à être considérées comme des hébergeurs et à se faire reconnaître comme tels.

Dans quel contexte peut-on voir une plateforme revendiquer sa qualité d’hébergeur ?

En cas d’atteinte constatée sur une plateforme de vente en ligne, du type vente de contrefaçon, atteinte à un droit de propriété intellectuelle ou atteinte au réseau de distribution sélective, le premier réflexe consiste évidemment à se retourner contre la plateforme.

C’est à ce moment-là qu’elle peut revendiquer son statut d’hébergeur et refuser de supprimer les annonces litigieuses au motif qu’elle ne fait que du stockage de données et qu’elle n’édite pas le contenu proposé par les vendeurs.
Elle invite généralement son interlocuteur à prendre contact directement avec le vendeur que la plateforme considère comme seul responsable des annonces litigieuses.

Quels sont les éléments à analyser lorsqu’on se trouve confronté à une telle situation ?

Il est essentiel de pouvoir analyser rapidement le rôle de la plateforme dans le processus de mise en vente : celle-ci a-t-elle vraiment simplement un rôle passif se limitant à stocker des données ?

En effet, si la plateforme intervient sur la publication des annonces et dispose notamment du pouvoir de ne pas publier ou de retirer une offre (ce qu’elle précise généralement dans ses conditions d’utilisation), son rôle est alors actif.

Si, par ailleurs, la plateforme fait une promotion active des produits mis en vente en proposant des « Deals du jour », « Promos », « Coupons », etc. ou intervient dans la présentation et la classification des offres, il est clair que son rôle ne se limite pas à stocker des données. Il est donc actif.

Ce rôle actif pourra également être reconnu si la plateforme intervient dans les transactions en proposant des services tels que facilités de paiement ou de garantie des transactions, par exemple.

Aujourd’hui, la plupart des places de marché ont effectivement un rôle actif qui autorise à penser qu’elles officient davantage comme éditeurs que comme hébergeurs.

L’hébergeur a-t-il tout de même une responsabilité face au contenu stocké ?

Les plateformes de vente en ligne ont tout intérêt à être considérées comme des hébergeurs afin que ne pèse pas sur elles une responsabilité d’office au regard du contenu qu’elles proposent.

Toutefois, il est important de rappeler que les hébergeurs deviennent responsables dès lors qu’ils ont été avertis et s’ils n’ont pas agi promptement afin de faire cesser une atteinte.

Ainsi, en cas de détection d’une annonce litigieuse, il est tout à fait possible de notifier la plateforme de vente en ligne dans le formalisme prévu par la loi (LCEN).

La loi prévoit en effet que cette notification doit faire mention de certains éléments précis, tels que l’identité exacte du demandeur, la description précise du contenu litigieux avec notamment la référence à sa localisation, le motif juridique de demande de retrait et la preuve d’une prise de contact avec l’éditeur du contenu litigieux.

S’il n’y a pas de responsabilité d’office des hébergeurs, contrairement aux éditeurs, ceux-ci ont tout de même un rôle à jouer dans le retrait des annonces litigieuses dès lors qu’elles leur ont été signalées.

Des recommandations ?

Une surveillance des plateformes de vente en ligne est impérative afin d’identifier toute atteinte au droit de propriété intellectuelle ou au réseau de distribution.

Après notification des annonces litigieuses et en cas de refus d’action de la plateforme au motif qu’elle ne serait qu’hébergeur, il est nécessaire de procéder à l’analyse de l’architecture de la plateforme afin de déterminer si son rôle dépasse celui de simple « stockeur » de données.

C’est bien souvent le cas. Aussi est-il important de noter que, face à la réapparition du contenu litigieux, le principe américain du « take down, stay down » ne s’applique pas (suppression puis republication d’une annonce litigieuse). En outre, les plateformes en ligne n’ont pas d’obligation de surveillance.

Raison pour laquelle il est pertinent et recommandé de maintenir une veille des plateformes de vente en ligne afin de pouvoir rapidement identifier et notifier une nouvelle fois les atteintes consécutives à des annonces republiées.

Pour conclure, quelles conseil feriez-vous aux marques qui ont besoin d’effectuer un contrôle des ventes réalisées sur les plateformes en ligne ?

Les entreprises, et notamment les marques, sont les premières victimes de la contrefaçon, en termes de chiffre d’affaires, mais aussi d’image et de confiance. Pour ces raisons, la maîtrise de leur réseau de distribution sur Internet et leur lutte contre la vente de produits contrefaits ne peuvent que reposer sur la mise en place d’une surveillance automatisée de la toile. Celle-ci doit être globale, afin de disposer en permanence d’une vision étendue sur l’ensemble des plateformes de vente, mais aussi sur les réseaux sociaux, appstores, sites de vente et sur l’enregistrement des noms de domaine et sous-domaines, quels que soient les pays où ils sont implantés ou enregistrés.

Bien qu’il existe toujours quelques plateformes de vente plus ou moins opaques, la plupart d’entre elles ont mis en place des procédures de signalement et de retrait d’annonces frauduleuses, la plus grande difficulté étant de les faire appliquer rapidement : une charge de travail extrêmement chronophage et récurrente pour les services juridiques des entreprises !

Aussi est-il important de rappeler que la lutte anti-contrefaçon ou la protection du réseau de distribution est avant tout un projet qui doit être mené comme tel au sein de l’entreprise. Ce projet s’organise avec l’appui d’experts mais aussi et surtout d’outils de nouvelle génération, permettant d’industrialiser :
1. la détection des annonces frauduleuses,
2. la suppression de celles-ci,
3. l’identification et la notification des vendeurs en infraction.

Par Raphaël TESSIER et Sophie AUDOUSSET pour EBRAND France.

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