Si l’Amérique latine représente 5 % de l’économie mondiale, elle est pour les entreprises européennes, l’opportunité d’un énorme marché de plus de 600 millions d’habitants. Cependant, la grave récession des années 2015-2016 a favorisé le développement d’une économie souterraine où la contrefaçon a pris une place majeure. Toute entreprise qui exporte dans la région doit donc absolument y protéger ses marques et surveiller ce qui se passe sur le terrain. Pour nous parler de cette région et de ses spécificités, nous avons interviewé ALFONSO SABÁN, spécialiste en propriété intellectuelle, et avocat associé du cabinet H&A.
En 2019, la baisse du prix des matières premières a fortement impacté les pays exportateurs d’Amérique Latine. Quelles sont les prévisions économiques pour 2020 ?
En effet, la baisse des prix du pétrole et du gaz a contribué à l’effondrement du Venezuela, à une nouvelle crise en Argentine et à la stagnation des économiques Mexicaine et Brésilienne. Par ailleurs, l’incertitude liée aux « tensions commerciales » avec les États-Unis, et les mesures prises pour assainir les comptes et contenir l’inflation (dévaluations et réductions des dépenses publiques) ont aggravé la situation. Toutefois courant 2020, tous les pays de la région devraient renouer avec la croissance (à l’exception de l’Argentine et du Venezuela). Par exemple, au Brésil les prévisions tablent sur une croissance de 2 %.
L’achat de produits contrefaits voire dangereux, fabriqués sur place où exportés par les pays voisins, est devenu un acte courant du quotidien. Dans un tel contexte, comment les marques peuvent-elles développer leur activité et endiguer ce phénomène, notamment dans les principales économies de l’Amérique Latine ?
Au BRÉSIL, depuis la création en 2004 du Conseil national de lutte contre la piraterie (CNCP), de nombreuses initiatives ont suivie pour endiguer le trafic de marchandises contrefaites : le Sénat, le bureau du procureur général et l’Agence nationale de surveillance de la santé (ANVISA), impliqués dans cette guerre, sont notamment à l’origine de nouvelles dispositions législatives, administratives et sociales. Par exemple, la loi n° 6759, permet depuis 2009 aux autorités douanières du pays de saisir « d’office » des marchandises. Si une telle mesure est peu courante dans cette région du monde, elle s’explique par le fait que le Brésil possède de vastes frontières et d’innombrables points d’entrée utilisés par les trafiquants. Par ailleurs, la crise économique a incité des milliers d’ateliers, dans la région du Minas Gerais, mais aussi à Apucarana et à Sao Paulo, à produire des marchandises contrefaites, vendues à bas prix à des millions de brésiliens. Pour faire face à ce fléau, les titulaires de marques ont tout intérêt à utiliser les dispositifs suivants :
- Inscrire leurs marques dans les fichiers des douanières brésiliennes,
- Informer les autorités de la présence de marchandises suspectes détectées,
- Collaborer avec le ministère public et la police autant que possible en vue d’effectuer des saisies, des raids et des arrestations.
Il va sans dire que le rôle des avocats est là fondamental.
Le MEXIQUE, avec plus de 130 millions d’habitants, constitue un réservoir croissant de consommateurs. Mais cette seconde économie d’Amérique latine est confrontée à des niveaux records en matière de contrefaçon : plus de la moitié des vêtements, chaussures, films, musiques et tabacs en circulation seraient des contrefaçons en provenance pour la plupart de l’étranger (Chine, Brésil…). Une perte estimée par gouvernement fédéral à plus de 2,5 milliards de dollars par an. L’intervention des douanes est ici le moyen de lutte le plus efficace contre cette forme de piratage offline. Afin de mieux lutter, l’administration a pris ces dernières années un certain nombre de mesures. La plus importante est la création d’un registre des marques, similaire à celui du Brésil. Il permet aux entreprises de fournir aux services des douanes, des informations détaillées concernant leurs marques et produits. Autant de données précieuses permettant de mieux identifier les contrefaçons en circulation. En cas de saisie, les détenteurs de droits peuvent alors, soit demander l’intervention du ministère public par le biais d’une action pénale, soit opter pour une action en contrefaçon devant l’IMPI, celle-ci pouvant être ultérieurement suivie d’une action civile en dommages et intérêts.
L’ARGENTINE quant à elle cumule : un des taux d’inflation les plus élevés de la région, une dette extérieure en dollars proche de 100 % de son PIB, une instabilité politique quasi chronique, l’inefficacité des mesures prise en 2019 en faveur du pouvoir d’achat… Tout semble indiquer la récession bien que certains experts prédisent une reprise dès 2021. En effet, avec ses 45 millions d’habitants, l’Argentine reste la troisième économie d’Amérique latine. Les entreprises qui souhaitent y offrir produits et services doivent donc veiller à protéger leurs droits de propriété intellectuelle. Pour faciliter leurs démarches, les douanes argentines ont mis en place un système d’alertes. Celui-ci permet aux entreprises de signaler aux autorités administratives et policières toutes les contrefactions de marques et de droits d’auteur détectées. Si des actions d’office peuvent être engagées par le ministère public, l’intervention des titulaires de droits est toutefois déterminante. Elle encourage les autorités à agir, augmente les chances de succès et exerce une plus grande pression sur les délinquants. En outre, dans le pays, les procédures civiles sont le moyen le plus efficace de récupérer les pertes. Cependant les injonctions extrajudiciaires, moins fastidieuses pour les titulaires de marques, donnent souvent des résultats satisfaisants dans un délai très court et aboutissent presque toujours à la destruction des produits contrefaits.
Que conseillez-vous aux entreprises européennes qui souhaitent étendre leur marché à l’Amérique latine ?
Brésil, Mexique et Argentine sont les trois premiers marchés d’Amérique latine. Malgré leurs récents problèmes économiques et les pertes engendrées par la contrefaçon, ils restent suffisamment dynamiques pour renouer avec la croissance. Toute entreprise qui exporte dans ses pays doit donc y protéger ses marques. Ce prérequis doit en outre s’accompagner sur le terrain d’une politique active de surveillance et de lutte contre tout détournement de marque. Concrètement, il faut :
- Enregistrer sa marque auprès des offices de propriété intellectuelle concernés
- L’inscrire dans les systèmes de surveillance mis en place par les douanes.
La représentation de l’entreprise par un avocat local permet de faciliter la communication avec les autorités et de réagir rapidement dès qu’un incident est détecté. Le cas échéant, outre les différents moyens administratifs, judiciaires et policiers existants pour faire respecter ses droits de propriété intellectuelle face aux contrevenants, il faut rappeler que les injonctions extrajudiciaires restent un outil efficace et rapide en cas d’infraction.
Par Raphael TESSIER et Sophie AUDOUSSET