LES DUPES : LE NOUVEAU DÉFI DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Duper ou être dupé ? « Là est la question » propre à susciter bien des inquiétudes dans le monde de la mode alors que le « dupe » n’a pas encore de définition juridique. Entre marques de luxe, dupes et contrefaçons, qui est susceptible de l’emporter et pourquoi ? Pour le savoir, nous avons demandé à Céline LE LAY, Responsable juridique Propriété Intellectuelle chez EBRAND, de faire le point sur ce phénomène en plein essor.

Jugez plutôt. Vendus en ligne ou en boutique, les dupes font depuis quelques années la fortune des influenceurs qui les recherchent puis les mettent en avant sur les réseaux sociaux pour le plus grand bonheur des consommateurs attirés par leurs prix très attractifs. Rien que sur TikTok, le hashtag #dupe aurait généré à lui seul environ 2,8 milliards de vues. Ses dérivés, tels #makeupdupe, #perfumedupe, #fashiondupe, etc. en comptent également plusieurs millions. Il existe même un #dupechallenge destiné à ceux qui souhaitent dénicher les meilleurs dupes, lequel totalisait courant février près de 60 millions de vues. Quant à Instagram, le compte « Dupes Mode » affiche près de 10 000 « followers ». Des parfums aux baskets en passant par les vêtements et les crèmes de soin, de très nombreux produits semblent aujourd’hui avoir leurs « dupes ». De quoi donc parle-t-on ?

Afin d’éviter toute confusion possible, pourriez-vous nous dire quelle définition est la plus appropriée lorsqu’on parle d’une marque, d’un dupe et d’une contrefaçon ? Et quelle est la différence la plus évidente entre un dupe et une contrefaçon ?

Céline LE LAYJuriste PI
Céline LE LAY
Juriste PI

Une marque est un droit de propriété intellectuelle défini par le code de la PI comme étant « un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ».

La contrefaçon est toute violation d’un droit de propriété intellectuelle : la reproduction, l’imitation ou l’utilisation d’un droit de propriété intellectuelle sans l’autorisation du titulaire du droit. Concrètement, est une contrefaçon la copie d’une marque avec la volonté pour le contrefacteur de faire croire qu’il s’agit d’un produit authentique. Or il s’agit d’une reproduction non autorisée par le titulaire de droit et, bien souvent, de mauvaise qualité.

Un « dupe », mot masculin provenant du terme anglais « duplicate », n’est pas une reproduction, ni même une imitation ou une copie. C’est le fruit d’une inspiration : il s’agit pour le fabricant de dupes de s’inspirer des produits de marques et d’y apposer la sienne. La volonté du fabricant de dupes n’est pas de faire passer ses produits pour ceux dont il s’est inspiré mais d’attirer les consommateurs en se plaçant dans le sillage du titulaire de la marque, sans toutefois reprendre les éléments identiques de la marque.

À première vue, on pourrait croire que seules les marques de luxe sont confrontées au phénomène des dupes. Il apparaît cependant que les créateurs moins connus, voire débutants, le sont aussi. Pourquoi et dans quelle mesure ?

Oui, les marques de luxe sont les principales cibles des fabricants de dupes qui cherchent à attirer une clientèle peu aisée mais désireuse d’avoir rapidement le dernier design à la mode. En effet, les dupes sont vendus beaucoup moins chers et contrairement aux contrefaçons, ils serait parfois de meilleure qualité.

Les dupes n’épargnent effectivement pas les marques de petits créateurs ou les marques grand public. En effet, le principe d’un dupe est de s’inspirer de produits design, « à la mode », originaux afin d’attirer le consommateur. Depuis le développement du phénomène « dupe » en 2022, on peut voir sur les réseaux sociaux de nombreux challenges où les internautes comparent produits originaux et dupes (par exemple un défi a opposé Zara, marque grand public, à Shein, géant chinois de l’ultra fast-fashion, le second proposant des produits deux à trois fois moins cher que le premier).

On dit parfois que la copie peut être un faire-valoir pour la marque imitée. Qu’en est-il ? Certaines marques pourraient-elles donc encourager cette pratique ou, a minima, ne pas la dénoncer lorsqu’elles en sont victimes ?

Les dupes s’inspirent de la réflexion artistique de créateurs, de leur travail et de leurs droits de propriété intellectuelle afin de favoriser la fast-fashion (c’est-à-dire le fait de produire très vite, très souvent et à moindre coût). Cette mouvance n’est ni favorable à la planète, car très polluante, ni favorable aux marques qui voient ainsi leur image ternie et subissent de ce fait un véritable manque à gagner. Cette « rançon du succès » qu’évoquait Coco Chanel est donc bien cher payée.

Comment identifier un dupe en ligne ?

Une surveillance par le biais de mot-clé associée à une recherche par image permet de détecter facilement en ligne des produits inspirés de produits protégés par un droit de propriété intellectuelle. En effet, la recherche par mot-clé permet d’identifier les annonces ou posts qui mentionnent la marque surveillée. Sur les réseaux sociaux notamment, la marque est souvent mentionnée dans le hashtag suivi du mot « dupe » (exemple : #marquedupe).

La recherche par image permet également de détecter les annonces qui ne mentionnent pas la marque mais des images proches de celle surveillée. Ensuite, une analyse méticuleuse de chaque cas pourra faire ressortir s’il s’agit plus d’une copie (contrefaçon) que d’une simple inspiration (si le fabricant du dupe n’a pas véritablement apporté d’originalité, de nouveauté, d’innovation).

Une fois identifié, sur quel fondement agir contre les dupes, comment les signaler et les supprimer ?

Sur les plateformes en ligne, nous avons la possibilité de signaler les atteintes aux droits de propriété intellectuelle que sont l’atteinte à la marque, au copyright, au dessin et modèle ou encore au brevet.

Dès lors, un titulaire de dessin et modèle pourrait légitimement signaler un produit dont le design est beaucoup trop proche du sien. L’atteinte à la marque pourrait être invoquée s’il y a une reprise de la marque sans l’accord de l’ayant-droit (dans le hashtag par exemple) pour vendre un produit autre. Ou encore l’atteinte au droit d’auteur puisque les vêtements (« créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure » au sens de l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle) peuvent être considérées comme des œuvres de l’esprit, et que toute reproduction partielle ou intégrale sans autorisation, peut être qualifiée de contrefaçon.

La marketplace ou le réseau social prendra la décision finale quant à la suppression du contenu litigieux et le vendeur, informé, aura la possibilité de se défendre. En outre, le titulaire de droit pourrait opter pour une action en concurrence déloyale ou en parasitisme. Toutefois, ces fondements ne sont pas invocables sur les places de marché.

Pour conclure, que conseillez-vous aux titulaires de marque qui sont confrontés à ce nouveau phénomène ?

L’idéal étant d’être alerté rapidement pour agir vite, nous conseillons aux titulaires de droits de mettre en place une surveillance systématique de la toile afin d’avoir connaissance des utilisations faites de leur marque ou de leurs dessins et modèles sur internet et les réseaux sociaux notamment. Celle-ci doit être constante et régulièrement mise à jour pour nettoyer l’Internet de façon optimale. Ensuite, une analyse de chaque cas identifié et une qualification juridique des résultats seront nécessaires.

Par Raphaël TESSIER et Sophie Audousset, avec la participation de Céline LE LAY.

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