Depuis le 13 juillet 2018, Caudalie, entreprise française de cosmétiques spécialisée dans la vinothérapie, peut interdire la vente de ses produits sur les plateformes de vente en ligne qui n’appartiennent pas à son réseau de distribution sélective. Pour savoir dans quel contexte et comment Caudalie a obtenu gain de cause, nous avons interviewé Laure Bourdeau, juriste PI en charge des dossiers de contrefaçon et d’atteinte aux réseaux de distribution sélective au sein de la société EBRAND France.
LES FAITS
Depuis 2013, un litige commercial opposait la marque de cosmétiques Caudalie et la société eNova Santé, éditrice de la place de marché 1001pharmacies.com, dédiée aux pharmaciens.
En effet, l’entreprise Caudalie commercialise ses produits cosmétiques dans un réseau de distribution sélective de pharmacies sous contrat. Ce contrat autorise les pharmaciens à vendre les produits de la marque dans l’officine ainsi que sur leur propre site Internet.
Or, en 2011, le site 1001pharmacies.com se met à commercialiser les produits de la marque Caudalie sans autorisation. Cette dernière porte l’affaire en référé devant le Tribunal de commerce et obtient gain de cause en décembre 2014.
C’est le début d’une affaire à rebondissements puisque eNova Santé contre-attaque, estimant que la pratique de l’entreprise de cosmétiques est anticoncurrentielle.
La Cour d’appel de Paris ayant considéré en février 2016 qu’il n’y avait pas lieu à référé, Caudalie décide alors de se former un pourvoi en cassation et obtient un nouveau renvoi devant la Cour d’appel.
Finalement, le 13 juillet dernier, au terme d’une bataille juridique qui aura duré plus de 5 ans, Caudalie a le dernier mot. La société eNova Santé, éditrice du site 1001pharmacies, est déboutée de l’ensemble de ses demandes.
LA LIBRE CONCURRENCE PREVAUT AU SEIN DE L’UNION EUROPEENNE. DANS CE CONTEXTE, COMMENT LA DISTRIBUTION SELECTIVE PEUT-ELLE ECHAPPER A CE PRINCIPE ?
L’article 101 §1 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) prohibe les accords entre entreprises « qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le marché intérieur ». Cependant, certaines conditions permettent une distribution sélective, ce qu’a notamment rappelé la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’important arrêt Coty du 6 décembre 2017.
Pour mémoire, ces conditions ont été énoncées pour la première fois dans le célèbre arrêt Métro rendu par la Cour de Justice des Communautés européennes le 25 octobre 1977. La Cour avait en effet considéré que la distribution sélective ne relève pas de l’interdiction de l’article 101 §1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatifs, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire.
La CJUE a ensuite précisé dans son arrêt Pierre Fabre du 13 octobre 2011 que « l’organisation d’un tel réseau ne relève pas de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire ».
Or, l’arrêt Coty du 6 décembre 2017 stipule qu’un « système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits est conforme à cette disposition, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire ».
C’est sur cette dernière décision que s’est fondée la Cour d’appel de Paris pour donner raison à la société Caudalie cet été.
En l’espèce, les juges ont estimé que les produits de la marque Caudalie correspondaient bien à des produits de luxe, produits dont la qualité « résulte non pas uniquement de leurs caractéristiques matérielles, mais également de l’allure et de l’image de prestige qui leur confèrent une sensation de luxe », définition dégagée par la Cour de Justice dans l’arrêt Coty.
La Cour affirme en effet que « le seul fait qu’il s’agisse de produits de pharmacie n’en fait pas des produits banals » et rappelle également que le contrat de vente à distance par internet dont ils font l’objet prévoit des conditions tenant à la mise en place d’un service de conseil permanent par un pharmacien-conseil.
La Cour a considéré ensuite que le réseau de distribution sélective mis en place par la société Caudalie ne procédait pas de critères discriminatoires, contrairement à ce qui avait été avancé par eNova Santé.
Rappelons que d’après celle-ci, Caudalie aurait fait une application discriminatoire de ces critères en ayant agréé les chaînes de magasins Marionnaud et Beauty Success. De son côté, la société Caudalie a affirmé avoir mis fin à ses relations commerciales avec ces sociétés et avoir engagé des actions pour que la société Amazon ne vende plus ses produits.
Enfin, la Cour a retenu que l’interdiction faite par la société Caudalie aux pharmaciens de son réseau de recourir de façon visible à des plateformes tierces pour la vente de ses produits sur internet était proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, celui-ci étant de préserver l’image de luxe des produits Caudalie. En application de l’arrêt Coty du 6 décembre 2017, cette interdiction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire.
Pour retenir cela, la Cour a énoncé que :
- l’absence de relation contractuelle entre les sociétés eNova et Caudalie empêchait la société Caudalie d’obliger la société eNova à respecter les conditions de qualité imposées aux pharmaciens agréés (en particulier le respect d’un « webpack » comprenant des photographies et textes permettant une valorisation des produits) ;
- la plateforme 1001pharmacies.com avait mis en vente des produits Caudalie supposés retirés de la vente ;
- les produits Caudalie étaient vendus aux côtés de produits sans aucun rapport avec ceux-ci (notamment des alarmes-incendie ou des caméras de vidéo-surveillance), ces conditions de présentation étant de nature à porter atteinte à l’image de luxe des produits Caudalie.
Par cet arrêt du 13 juillet 2018, la Cour d’appel de Paris fait une application exacte de l’arrêt Coty rendu quelques mois plus tôt. Ainsi, il s’inscrit dans la lignée de jurisprudences de plus en plus favorables à l’égard des marques à la tête d’un réseau de distribution sélective.
Pour mémoire
La distribution sélective est définie par le Règlement n°330/210 de la Commission européenne du 20 avril 2010 comme un « système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système » (art. 1. 1, e).
Par Laure Bourdeau, Sophie Audousset et Raphael Tessier pour EBRAND.
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